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La question de recréation est toujours fondamentale dans les recherches sur
les transferts littéraires. Elle suppose que les oeuvres traduites ne sont pas seulement
des transpositions d’un modèle mais qu’elles ont la même légitimité
que les textes dont elles s’inspirent et ont un sens autre, une valeur sémantique
différente liée aux spécificités du contexte d’accueil. Étudier Rousseau, Proust
ou Montaigne en Chine ce n’est pas seulement se soucier d’une sorte d’extension
paradoxale du lectorat d’auteurs français mais s’attacher aux étapes d’une
transformation qui fait intervenir les attentes intellectuelles et esthétiques du
contexte d’accueil dans toute leur complexité. Les transferts littéraires peuvent
impliquer des passages d’un genre à l’autre. Au Moyen Âge il pouvait s’agir du
passage de la prose latine à la poésie vernaculaire grâce à la transmutation opérée
par un poète comme Eustache Deschamps. Ces passages peuvent être à vrai
dire extrêmes quand on voit des éléments de la légende arthurienne absorbés
par les mangas japonais et adaptés au contexte de la littérature populaire du
XXIe siècle asiatique. Sans aller jusque-là on peut dire que lorsque Rousseau
passe la frontière franco-allemande au XVIIIe siècle et devient une référence de
la littérature allemande, il subit des transformations surprenantes et que dans
un de ses célèbres poèmes intitulé « Rousseau », le poète Hölderlin – qui a lu
vers 1795 le texte de la Nouvelle Héloïse en français, fait de lui une sorte de
réincarnation des dieux de la Grèce. Rousseau qui n’a pas d’oeuvre poétique se
transforme en poète.
292 Pages
ISBN 978-2-35548-186-4